La théorie des balles perdues
VACTERL n’est pas une maladie qui se diagnostique dans sa totalité en un examen… ni même en un mois… Une fois le syndrome déclaré, de nombreux examens sont pratiqués sur l’enfant. Chacun étant une nouvelle épreuve, car malheureusement, les mauvaises nouvelles sont fréquentes. Nous ne comptons plus le nombre de réunions avec les médecins pour nous annoncer les résultats des dernières analyses… La quasi-totalité des organes de Baptiste nous a un jour retourné une analyse alarmante, nécessitant une nouvelle analyse ou du moins un suivi. Le cœur, la vessie, les yeux, les oreilles, les hormones, le cerveau, les os des membres et les reins, tous ces sujets ont un jour été approchés par un médecin nous expliquant qu’il y avait un problème. Bien que certains soient encore suivis, on peut se dire à présent qu’il s’agissait de fausses alertes. Cependant, pendant assez longtemps, nous pensions que rien n’allait et que rien n’irait jamais mieux.
Les balles perdues
Tout cela est très pénible pour les nerfs et il est assez naturel de se sentir accablé par le sort, de se dire que la vie s’acharne à vous mettre des obstacles, vous empêchant d’être heureux ou même simplement de vivre… en faisant en sorte que tout se passe mal.
J’ai alors réfléchi sérieusement à ça. Est ce que TOUT s’écroule ? Est ce que TOUT se passe mal ? J’avais vraiment cette impression et j’ai donc énuméré ce que je pouvais perdre pour que les choses soient pires. En faisant la liste, je me suis aperçu que le sort avait encore beaucoup de moyen de me frapper, qu’à tout moment finalement je pouvais tout perdre. En regardant la liste des malformations de VACTERL, on a une liste concrète de choses que l’on est content d’avoir évitées. En se baladant dans les couloirs de Necker, en dormant avec des familles à Curie, on peut prendre conscience des problèmes que l’on n’a pas eu. Peu à peu je me suis fait ma « théorie des balles perdues », très simple et très vraie :
Lorsqu’on se trouve sur un champ de bataille, on ne voit que les balles qui nous ont touchés alors que l’on a aucune idée des balles que nous avons ont miraculeusement évitées.
Jamais on ne se réjouit de ce qu’on a et on se plaint toujours de ce que l’on perd. Pour forcer le bonheur à revenir, j’ai donc commencé à apprécier tous les coups de chance que l’on a au quotidien sans les voir… Cette voiture qui a freiné quand vous avez traversé la route… elle aurait pu vous renverser et changer votre vie. L’accident respiratoire que Baptiste a eu, la nuit précédant notre retour à Rennes… quand on y réfléchit, s’il avait eu l’accident respiratoire pendant le trajet… Qu’est-ce qu’il se serait passé ? On a peut-être évité une catastrophe sans le savoir… Finalement chaque jour où les choses ne s’aggravaient pas, c’était déjà une bonne journée, où l’on pouvait apprécier un peu de répit… qui sait combien de balles nous évitions ces jours-là ?
La vie est un combat
Malheureusement, les jours où les choses s’aggravaient, et ils furent nombreux durant les premiers 18 mois de Baptiste, je n’arrivais pas à juste me contenter de ce que j’avais. La colère et le chagrin étaient trop grands… prenaient trop de place. Les deux étaient là et je ne pouvais pas m’en débarrasser, alors comment s’en accommoder ? J’ai choisi de laisser éclater ma colère, afin d’essayer d’en faire quelque chose de positif… essayer de la diriger dans la bonne direction, d’en faire un moteur plutôt qu’un frein.
La vie veut que nous soyons malheureux ? Nous allons l’insulter par notre bonheur. Notre vie sera une offense aux statistiques, notre chemin sera difficile, mais on ira avec le sourire, juste pour provoquer le destin. Chaque fois que Baptiste rigole et qu’il amène quelqu’un à rire avec lui, c’est un uppercut bien placé dans la mâchoire de la vie… et si vous le connaissiez vous verriez quelle raclée il est train de lui mettre ! Avec l’exemple qu’il nous donne, même dans nos jours de faiblesse, nous n’avons pas le droit de flancher. La vie de Baptiste sera dure, c’est à nous de lui donner les gants pour se battre, des bons gros gants bien confortables faits de rires, de câlins, d’amour et de bisous. Notre bonheur est un devoir, un combat que nous n’avons pas le droit de perdre.
Les deux visions développées ici sont très personnelles et m’aident à survivre heureux. Chacun aura ses méthodes, certains iront vers la religion, ou une autre philosophie de la vie… J’ai voulu exposer mes pensées ici, bien que ce soit très intime, dans l’espoir qu’un jour quelqu’un me lise, soit sur la même longueur d’ondes que moi, et que sa vie soit plus heureuse en voyant les choses comme moi.
Bon courage à tous, tenons bon !
N.B: Un grand merci à Bramblelady qui a généreusement réalisé l’illustration de cet article, ce soldat chanceux sans le savoir, ignorant les balles qui l’ont frôlé. Je vous invite à aller voir son superbe travail ici !
Une réponse à “La théorie des balles perdues”
Lisez ce bel article, qui permet très clairement d’être plus heureux. Merci Vincent